TROMPES DE CHASSE

Les origines

Les premiers sons que l’on ait tirés d’un cor, qui est certainement l’archétype de tous les instruments à vent doivent être bien antérieurs à l’époque ou l’humanité entreprit de compter les années. Il est impossible de savoir quand, où et comment, mais on peut supposer que ce fût dans un passé très reculé, et en Orient.
C’est certainement par hasard que l’un des nos lointains ancêtres découvrit la possibilité de tirer des sons d’un tube qui était alors évidemment d’origine naturelle. Peut être fut-ce un coquillage hélicoïdal, peut-être un os long provenant de quelque animal mort ou abattu, peut-être simplement la tige creuse d’une plante aquatique desséchée, ou bien la corne d’un buffle ou d’un aurochs, d’un bélier ou d’un taureau, creusée par la dent du temps, brisée vers la pointe ou percée sur le coté.


Corne de Koudou

Il n’est pas difficile d’imaginer que l’un de ces hommes qui vivaient de la pêche ou de la chasse, au gré de leur habitat, et qui jouaient certainement comme des enfants avec tout ce qu’ils trouvaient, ait porté à ses lèvres un tube de ce genre pour en chasser, en soufflant dedans, des restes d’eau, de moelle ou de sable. Or, s’il l’a fait les lèvres tendues et approximativement de la façon que les instrumentalistes modernes appellent « pince », il était inévitable que, sans qu’il s’en doutât, ses lèvres fonctionnent comme un masse vibrante et transmettent ces vibrations à la colonne d’air définie par le tube. Et, conformément à des lois physiques immuables, cela devait faire naître un son dont la hauteur, le timbre et l’intensité étaient fonction de la longueur et la forme du tube, de la tension des lèvres et de la puissance du souffle.
C’est ainsi qu’un simple tube est devenu instrument, c’est ainsi que le cor, en particulier, a pris naissance. Il est probable que tous ceux qui l’ont « inventé » ici et là ont vu aussitôt leur statut social s’élever, tous les autres membres de la tribu, stupéfaits, les considérant avec respect.
Peut-être même ce timbre inconnu, et par conséquent tenu pour magique, a-t-il valu à celui qui avait su le produire de devenir roi ou prêtre…

Au fil du temps, aux cors en corne d’animaux (cor brésilien en corne de taureau ou corne de koudou en Afrique du Sud-Ouest), en ivoire (olifant), voire même en terre cuite (cor étrusque en Italie), se joignent des cors métalliques en cuivre, en bronze ou en fer tels qu’on peut les voir dans nos musées ou les peintures. Ceux-ci sont semi-circulaires et présentent l’avantage d’affranchir le fabricant des contraintes de la nature, autorisant donc des dimensions jusqu’à près d’un mètre avec pavillon. Ces instruments se portaient à l’épaule en sautoir grâce à une sangle large, et venaient battre la hanche ou la cuisse du valet ou du cavalier. Faute d’embouchure, ils n’étaient capables d’émettre qu’une ou deux notes d’autant plus graves que l’instrument est plus long.

Cornu ou Busina de la Rome antique était sonnée
par des officiers. Cet instrument pouvait mesurer 3 mètres de long.
Le tuyau passait sous un bras, et la pavillon par-dessus la tête
 

Durant tout le moyen âge, on trouve ces instruments sous diverses appellations: corne, cornu, cor, huchet, graile, araine, trompe… Pour différencier les signaux, on faisait des suites de notes brèves ou longues (comme avec l'alphabet morse utilisé naguère en télégraphie). Par exemple la "Cornure de Requeste" (requêté) figurant dans le Livre de la Chasse de Gaston Phoebus, au 14ème siècle, est ainsi décrite : « Corner un long mot, puis quatre mots courts suivis d'un autre mot long, suivi de quatre mots courts ». Un autre auteur de la même époque, Henri de Ferrière, écrit à propos de l'hallali: « Tous ceux qui ont des cors doivent corner ensemble, et c'est belle mélodie ». Sans doute nos mélomanes ne l'entendraient-ils pas ainsi aujourd'hui, mais on voit que les veneurs n'étaient pas insensibles à l'aspect musical de ces « cornures » primitives qui préfigurent les fanfares de trompe.

Ces cors sont en usage à la chasse jusque durant la période des Valois, le règne de Louis XIII et la première moitié de celui de Louis XIV.

Cor Vernon - 1650

Cor ou trompe ?

Le mot cor, initialement dit le corn (en 1080) ou la corne, dérive de la racine indo-européenne ker/kor qui a conduit au grec keras, puis au latin cornu. Cette racine désigne à la fois la matière cornée et l’arme frontale du taureau ou du bélier, ainsi qu’au sens figuré, tout objet en ayant la forme (corne d’abondance, corne d’Amalthée, la corne du bois, cornue à distiller, etc…). Pour couvrir ces divers sens en français, corne et cor se sont trouvés en concurrence. Cor, consacré par la Chanson de Roland (vers 1100), s’est maintenu pour désigner l’instrument d’appel, mais a été évincé par corne au sens de corne d’animal, sauf dans les expressions archaïques du type cerf dix cors.

Le mot « Trompe » qui signifiait initialement « tourbillon ou toupie » ne prit le sens d’instrument de musique à vent que vers 1250, et plus précisément vers 1460 : instrument en cuivre dont on se sert spécialement pour la chasse.

Au XVI° siècle la trompe de chasse ne pouvait être en fait que ce que nous appelons aujourd’hui, le cor.

Cependant, dans le langage de la vénerie, depuis d’Yauville vers 1740, cor de chasse a été définitivement supplanté par trompe de chasse.

La première distinction formelle entre le cor et la trompe est rapportée par écrit en 1664, dans la chronique d’un divertissement de Louis XIV, orchestré par Lully assisté de Philidor l’Aîné, ce dernier étant le compositeur de la fanfare La Sourcillade qui deviendra « La Vue ». Certains supposent que la trompe dont il s’agit ici pourrait être le corno di caccia d’origine italienne, qui est accordé en Si bémol. C’est en 1680 qu’apparaît pour la première fois une trompe circulaire dans un tableau du peintre J.B. Martin des Batailles ainsi que dans une gravure de Bonnard d’après une toile de Van der Meulen. Vingt ans après, dans un tableau datant donc de 1700, un veneur sonne d’une trompe d’un tour et demi à pavillon étroit, dont on sait grâce au spécimen conservé au Musée de la Vénerie de Senlis, que la longueur en est de 2,27 m, le diamètre de 45 cm, mais qu’elle est accordée en Do.

Mais avant que l’opposition Cor/trompe ne soit allée aussi loin, tournons-nous vers la France où, à la cour brillante et très chasseresse du Roi-Soleil, notre instrument, appelé « Trompe de chasse », était devenu le représentant type de toute la famille des cors.
La trompe de Louis XIV est la première qui ait sonné des fanfares. On la trouve représentée en 1684 dans une gravure de Bonnard d'après un tableau de Van der Meulen. Elle a servi à la vénerie de Louis XV pendant 8 ans. L'action de chasse est accompagnée de sonneries de trompe (fanfares) qui permettent aux veneurs de communiquer entre eux et avec les chiens.

Cette trompe à un tour et demi comporte deux modèles, le modèle de 1680 et celui de 1689. Le premier fut utilisé tout d’abord par la Vénerie de Louis XIV en 1680. C’est une trompe circulaire à un tour et demi de 0,48 m de diamètre, de 2,27 m de longueur déployée. Cette trompe est en ut. Les tubes ont 12 millimètres de diamètre et le pavillon 14 centimètres et demi de diamètre, le tour est renforcé par une bordure en cuivre montrant une « guirlande » ou « dentelle » en creux, le tout est surmonté de petits ornements représentant un coquillage en plein, caractéristique de l’époque de Louis XIV. L’extrémité du premier tube se termine dans un manchon, dans lequel s’encastre une branche d’embouchure mobile à laquelle l’embouchure était alors soudée. À cette époque, on ne connaissait pas encore bien le repoussage au tour, ni le planage, que Raoulx allait bientôt inventer. Cette trompe est martelée à la main, tous les coups de marteau se voient. Le second modèle de trompe est de 1689. Il présente les modifications suivantes : le manchon a été supprimé ; la branche d’embouchure est soudée au premier tube et est maintenue par un tenon, de même que le pavillon ; l’embouchure n’est plus généralement soudée à la branche d’embouchure, elle est mobile ; le pavillon a 0,22 m de diamètre.

Si cette date est exacte ou du moins puisque ce perfectionnement est survenu avant 1715 – terme du règne de Louis XIV – et si l’on s’en tient à la fois à la forme (1680) mais plus encore à la tonalité (1705) de l’instrument, cela permet d’affirmer que l’acte de naissance de la trompe que nous connaissons aujourd’hui, date de la fin du règne du roi-soleil.

La trompe de chasse a été adoptée par la vénerie française sous le règne de Louis XV et l'influence de son maître de vénerie : le marquis de Dampierre.

En dépit de ces limitations, l'horizon musical du cor s'élargissait singulièrement, et les ingénieux cornistes de Louis XIV, ainsi que les compositeurs proches de la cour, surent parfaitement en tirer parti. Parmi le vaste choix de fanfares composées à l'époque, on a toujours considéré comme exemplaire le Recueil de Fanfares du marquis de Dampierre, surnommé le "père du cor". Si ce volume n'a été publié, à Paris, qu'en 1778, soit vingt-deux ans  après sa mort, le jeune Dampierre était connu à la cour, dès le début du siècle, comme un brillant exécutant. En 1729, il devint veneur et "lieutenant de chasse de M. le duc du Maine", et c'est en 1727 qu'il entra au service de Louis XV.
 

La Trompe Dampierre

Deux modèles de trompes du marquis de Dampierre apparaissent sous Louis XV.

En 1722, le Marquis de Dampierre met à la mode une nouvelle trompe adoptée en août 1723 par la vènerie royale. Le marquis de Dampierre utilisait indifféremment le terme de cor ou de trompe pour nommer son instrument, et cela changea seulement, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, avec d’Yauville vers 1740, qui n’employa plus que l’expression trompe pour désigner la trompe de Lebrun, modèle 1729, aujourd’hui la Dampierre. C'est une trompe en ré allongé à 4,05 m à un tour et demi, de 0.72m de diamètre et fabriquée par Raoulx. C'est la seule trompe portée par le Marquis de Dampierre (1676-1756). Cette trompe en ré est fort douce à sonner, mais très embarrassante à tenir, vu son énorme diamètre, qui a rapidement provoqué son remplacement.
 
Il reste que la pratique de cette « trompe Dampierre » est singulièrement malaisée pour plusieurs raisons. Par son diamètre, elle est extrêmement encombrante et pour sonner, le coude doit être en extension complète. Les contraintes géométriques liées à la fois à la longueur du tuyau et au diamètre du cintrage font que l’orientation du pavillon par rapport à l’axe d’embouchure est comprise selon les spécimens entre un sensible parallélisme et un angle rentrant d’environ 20° (dans une trompe moderne, il s’agit au contraire d’un angle divergent de 38-40°). De ce fait, cet instrument semble mal se prêter à l’exécution en groupe puisque si l’on voulait marier les sons en focalisant les pavillons comme on le fait aujourd’hui dans une formation en V, les exécutants devraient se tourner nettement vers l’extérieur (selon différents cas de figure, avec un angle de 30-35° par rapport à la bissectrice du V). D’où, puisque la trompe de tête serait hors du champ visuel des sonneurs, difficultés de synchronisation de la note d’attaque, tandis que chacun se sonne dans l’oreille. Au reste, on remarque que, dans les tableaux d’époque, plusieurs exécutants sonnant conjointement ont les pavillons orientés aux quatre points cardinaux.

 

La Trompe Dauphine

D’où un second modèle mieux adapté qui, à longueur comparable (4,54 m) sans modification de ton (Ré), enroulé maintenant en deux tours et demi, aura un diamètre de 0,60m, plus réduit mais pouvant néanmoins être porté en bandoulière car la mode vestimentaire a changé depuis le début du règne ; les chapeaux largement emplumés des Messieurs ont été remplacés par le tricorne plus modeste. Il s’agit là du modèle créé par Lebrun en 1729, dit « trompe Dauphine » en l’honneur de la naissance du dauphin (1729-1765) fils de Louis XV et de Marie Leszczynska et qui sera le père de Louis XVI. Notons toutefois, que cette trompe reçue en 1831 la dénomination de trompe Dampierre ou « à la Dampierre ». Cette trompe, très maniable, sera extrêmement populaire et son usage se perpétuera par tradition jusqu’au XX° siècle, au moins jusqu’en 1914 à l’équipage du comte De Valon.


 

La Trompe d'Orléans

Mais dans l’intervalle, une ultime modification avait été apportée à l’instrument en 1817, année où le Duc d'Orléans commanda à la maison Périnet 50 trompes pour son équipage, qui donne naissance à la trompe d’aujourd’hui et qui se généralise dès 1831 : la longueur en est inchangée (4,54 m), elle est donc toujours accordée en Ré, mais elle est dorénavant enroulée en trois tours et demi. Son diamètre en réduit à 34-35 cm (mais, après la Révolution, le tricorne a été remplacé par la cape anglaise). Ce modèle fut exécuté par Raoulx et son successeur. Notons toutefois que son pavillon a été perfectionné par un ouvrier de Périnet ayant découvert par des essais successifs quel était le modèle le plus favorable à l’émission du son (1855). Tous les écrits connus sur la trompe de chasse font état de l'apparition de cette nouvelle trompe à la suite d’une commande de 40 « demi-trompes » de la part du duc d’Orléans, fils aîné du roi Louis-Philippe, on l’appelle « trompe d’Orléans » et qui se généralise en 1831. Or on connaît une quinzaine de trompes enroulées sur 3 tours et demi antérieures à cette commande.

C’est celle que nous voyons partout aujourd’hui dans les rassemblements et les concours.

 

Nom

Trompe Louis XIV
(1er Type)

La Dampierre

La Dauphine

La d'Orléans

Photo

Année de création

1680

1722

1729

1814-1818

Longueur (m)

2,27

4,05

4,545

4,545

Enroulement (tours)

1,5

1,5

2,5

3,5

Tonalité

Ut

Diamètre (cm)

48

72-90

50-57

35-37

 

 

Les autres...

Enfin, le souci de réduire encore l’encombrement de l’instrument a fait apparaître d’autres morphologies compactes : ce sont la Maricourt, circulaire à 6 ou 8 tours et demi, ainsi que la « Lorraine » et la trompe Etron dont le tube est enroulé autour du pavillon. Toutes sont également accordées en Ré, sans avoir l’élégance de la trompe d’Orléans. Pour finir, l’imagination des facteurs a encore donné naissance à quelques autres instruments originaux de haute fantaisie, qui illustrent l’ouvrage de J. Bouësse (1979).

Aujourd’hui, même si la trompe de chasse appartient à la grande famille des Cors, la trompe n'est pas à confondre avec le cor de chasse accordé un demi-ton plus haut en mib. La différence visible est la coulisse d’accord (petit tube intérieur modifiant la tonalité), sur la branche d’embouchure. Il n'est pas utilisé à la chasse mais en musique militaire en particulier chez les Bataillons de Chasseurs

 

Nom

Trompe Maricourt

La Lorraine

La Etron

Le Cor de Chasse actuel Mib

Photo

Longueur (m)

4,545

4,545

4,545

4,25

Tonalité

Mib

 

 

Les premières fanfares de chasse remontent à 1723 où le Marc-Antoine marquis de Dampierre écrivit les premières des quelque 6 000 fanfares qui constituent aujourd'hui un patrimoine musical exceptionnel (d'après le recueil de fanfares de chasse de la Fédération Internationale des Trompes de France, Philidor l'Aîné avait publié la "retraite prise" en 1705 et "La Sourcillade" devenue "la vue" en 1707/09).
Bien qu’ayant été conçue à l’origine pour la vènerie, la trompe a été jadis utilisée par de nombreux compositeurs classiques comme trompe d’orchestre (pièces de Monteverdi, Rossini ou Lully). Aujourd’hui, la trompe de chasse est devenue bien plus qu’un simple accessoire cynégétique ; elle existe par elle même grâce à la diversité de son répertoire. La Fédération Internationale des Trompes de France (FITF) organise depuis 75 ans, concours et stages regroupant des sonneurs de nombreux pays européens.

Cet instrument naturel est resté proche de ses origines et nous lie sans peine aux belles traditions de la musique baroque. Depuis lors, La trompe de chasse est indissociable de la vénerie. Elle lui doit sa signification et son développement. La pratique de la trompe est maintenue par tous les veneurs, dont elle est l'instrument de communication à la chasse, mais aussi par des artistes qui savent la porter à la perfection…